« O lourde légèreté ! Sérieuse vanité !

Voilà Sander qui déambulait dans la maison familiale tout en répétant avec ardeur ses textes en vers pour la pièce qu'il allait jouer ce soir. En effet le jeune homme avait déjà à son jeune âge choisi la vocation de comédien. Très tôt il avait découvert cette passion. Celle de devenir soudainement quelqu'un d'autre, de devenir ce protagoniste tantôt si idyllique, tantôt si pitoyable. Parce que ce qu'appréciait par dessus tout Sander, c'était les tragédies ; ces pièces où les personnages, aussi fort soit-ils doivent accepter leur fatalité, leur triste et terrible destin. Pourquoi ce genre ? Peut-être parce qu'il reflétait parfaitement l'état d'esprit du jeune homme. Parce qu'il était résigné, que chaque fois il maudissait sa misérable vie, qu'il ne se sentait plus vivre. Parce que, le seul moment où il vivait, c'était sur scène, là ou il pouvait exprimer ses sentiments quant à la cruauté de la vie, à la tragédie même de l'existence humaine. Parcourant le salon, il se rapprochait alors lentement de sa mère assise sur une chaise puis tout en lui tenant sa douce main il poursuivit.

Car aujourd'hui sa mère était son Benvolio, son Tybalt mais aussi sa Juliette ; c'était sa fidèle allié, toujours là pour l'aider à répéter ses tristes histoires. Malade depuis fort longtemps, elle était toujours à la maison depuis son plus jeune âge. Leur relation était fusionnelle ; son père étant un homme d'affaire il n'était jamais à la maison, ainsi c'était elle qui l'avait élevé malgré sa santé fragile qui lui lisait des histoires lorsqu'il était enfant ; elle lui lisait des contes de tout genre, et parfois des pièces de théâtres d’auteurs dont elle était une grande admiratrice . Elle racontait toujours à son fils qu'ils iraient ensemble au théâtre quand il sera plus grand et qu'elle ne sera plus malade. Fatalement, sa mère n'allait guère mieux avec le temps. Sander avait donc pris une résolution ; devenir comédien, ainsi sa mère n'aurait pas à se déplacer, il pourrait alors jouer devant elle, et ainsi voir cette pièce de théâtre qu'elle lui avait tant promis par le passé. C'était une pensée bien naïve et innocente, mais c'est de là que découlait la volonté du jeune homme à aspirer à cette vocation.

Il finissant alors sa tirade, il embrassa sur le front sa mère une dernière fois avant de s'habiller et de quitter la demeure, fin prêt à enfiler son costume de Romeo. Aujourd'hui c'était sa dernière représentation de la pièce, mais ce qu'il ne savait pas encore c'est que c'était aussi la dernière fois qu'il répétait avec sa mère. Cette soirée là elle avait fait un malaise et fût admise à l’hôpital. Depuis ce jour elle reste alitée, prisonnière de cette chambre, enchaînée par cette maladie. Il ne pouvait plus jouer Hamlet, Othello ou même Caliban devant-elle ; les visites étaient courtes et même, elle était trop faible pour pouvoir tout simplement le voir, lire ses textes, l’accompagner dans son récit. Alors désormais une nouvelle vocation s'était réveillé chez le jeune homme. Il voulait chanter, il voulait que sa voix puisse parvenir à sa mère ou qu'il soit, que rien ne puisse les séparer. Projet certes ambitieux, mais c'est ainsi que Sander est devenu qui il est. Toujours à suivre ses passions, ses envies, ses désirs pour sa mère.